samedi 14 juillet 2007

Auschwitz - Tadeusz Rozewicz













Auschwitz 2005

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Le rescapé


j’ai vingt –quatre ans

je suis un rescapé

de l’abattoir

Sons vides son équivalent

homme bête

amour haine

ami ennemi

ombre et lumière

l’homme se tue aussi facilement qu’un animal

j’ai vu :

des fourgons d’hommes dépecés

qui ne trouveront pas le salut

Grands mots vous n’êtes que des mots

vertu et vice

vérité et mensonge

beauté et laideur

courage et lâcheté

autant pèse la vertu que le vice

j’ai vu :

un homme être à la fois

vertueux et criminel

je cherche un maître à vivre et à penser

qu’il rende la vue et la parole

qu’il nomme à nouveau les choses et le concepts

qu’il sépare la lumière de l’ombre

j’ai vingt –quatre ans

je suis un rescapé

de l’abattoir

Tadeusz Rozewicz, Anthologie personnelle, Actes Sud, 1990

Trad. Georges Licowski et Allan Kosko

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Premier amour



I.

J’avais seize ans

je marchais dans un parc

j’appuyais mon front contre un arbre

je pleurais

Personne ne m’a fait du mal

le silence régnait au parc

d’où venaient mes larmes

Personne ne m’a demandé

je n’ai rien dit à personne

Je courais à la maison

je criais

j’ai faim, j’ai faim

mais j’étais amoureux

J’ai rempli la maison de rire

Personne ne m’a demandé

pourquoi j’ai ri

J’ai vu Marie

j’ai vu Marie

Je vois Marie

Elle va à l’école

dans son manteau bleu – marine

avec son insigne bleu

elle marche dans le soleil de mai

dans les rayons de la pluie

elle illumine ma mémoire

comme une brumeuse rivière (une brumeuse rivière)

plus claire

d’une année à l’autre

jusqu’à la disparition.

II

J’avais dix-huit ans

J’ai couru au travers d’un champ

dans la lumière jaune

du soleil de septembre

quand les avions sont arrivés

je suis tombé

Oh ! écrasante image

du ciel mécanique

avec mes lèvres je touchais la terre (mes lèvres touchaient la terre)

J’avais dix-huit ans

quand la première fois

j’ai vu Marie nue

Je n’exprimerai jamais

sa frayeur

son dernier soupir

propulsé à l’intérieur de ses poumons

je n’exprimerai pas ses secousses

des pleures d’une jeune vie

quand la mort s’approche

non l’amour

L’air brûlant lui arrachait sa robe

elle était allongée sur le champ

nue

dans la fumée et dans le sang

mes mains tombées

mes mains qui n’ont jamais touché

son corps vivant

mes yeux levés

Le tueur montait

argenté déjà luisant

comme une aiguille qui coud le ciel

irréel

elle était allongée déshabillée

par l’air hurlant et le feu

elle était allongée sous le soleil

oblique jaunissant

au milieu d’un fumant paysage

au milieu du premier jour

de la guerre

les jambes allongées

au long des sillons non achevés

comme un blanc agneau mort.

III

La Terre

d’un soupir plus légère

morte vide.

IV

Larme de dix-huit ans

sous le ciel

au-dessus de la terre

larme tombant comme ce jour

sur tous les temps

sur toutes les planètes et les étoiles

larme perçant le ciel et la terre

tombant

sur les capitales des villes capitalistes

sur l’éternelle Rome

larme volant

à travers l’obscurité de la nuit

à travers des littoraux d’azur

à travers des bosquets d’oranges

l’arme tombant

sur les cheveux des amoureux

quand ils se rejoignent

comme l’eau de rivières inconnues

Le tueur montait

argenté luisant

sans nom sans visage

Mais moi j’ai reconnu pour toujours

ceux qui l’ont envoyé

pour tuer Marie.

1953 / trad. bien sûr Marie

***



C'est si bon !


C'est si bon ! Je peux

cueillir les myrtilles dans le bois

je pensais

il n'y a plus de bois ni de myrtilles.

C'est si bon ! je peux me languir

sous l'ombre d'un arbre

je pensais les arbres

ils ne donnent plus d'ombre.

C'est si bon ! je suis avec toi

le cœur me bat si fort

je pensais l'homme

n'a plus de cœur.

***



Enlèvement de poids


Il est venu vers vous

Et il dit

Vous n'êtes pas responsable

Ni de ce monde ni de la fin de ce monde

On vous a enlevé le poids de vos épaules

Vous êtes comme les oiseaux comme les enfants

Amuses-vous

Et ils s'amusent

Ils oublient

Que la poésie de nos jours

C'est la lutte pour un souffle

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