Auschwitz 2005
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Le rescapé
j’ai vingt –quatre ans
je suis un rescapé
de l’abattoir
Sons vides son équivalent
homme bête
amour haine
ami ennemi
ombre et lumière
l’homme se tue aussi facilement qu’un animal
j’ai vu :
des fourgons d’hommes dépecés
qui ne trouveront pas le salut
Grands mots vous n’êtes que des mots
vertu et vice
vérité et mensonge
beauté et laideur
courage et lâcheté
autant pèse la vertu que le vice
j’ai vu :
un homme être à la fois
vertueux et criminel
je cherche un maître à vivre et à penser
qu’il rende la vue et la parole
qu’il nomme à nouveau les choses et le concepts
qu’il sépare la lumière de l’ombre
j’ai vingt –quatre ans
je suis un rescapé
de l’abattoir
Tadeusz Rozewicz, Anthologie personnelle, Actes Sud, 1990
Trad. Georges Licowski et Allan Kosko
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Premier amour
I.
J’avais seize ans
je marchais dans un parc
j’appuyais mon front contre un arbre
je pleurais
Personne ne m’a fait du mal
le silence régnait au parc
d’où venaient mes larmes
Personne ne m’a demandé
je n’ai rien dit à personne
Je courais à la maison
je criais
j’ai faim, j’ai faim
mais j’étais amoureux
J’ai rempli la maison de rire
Personne ne m’a demandé
pourquoi j’ai ri
J’ai vu Marie
j’ai vu Marie
Je vois Marie
Elle va à l’école
dans son manteau bleu – marine
avec son insigne bleu
elle marche dans le soleil de mai
dans les rayons de la pluie
elle illumine ma mémoire
comme une brumeuse rivière (une brumeuse rivière)
plus claire
d’une année à l’autre
jusqu’à la disparition.
II
J’avais dix-huit ans
J’ai couru au travers d’un champ
dans la lumière jaune
du soleil de septembre
quand les avions sont arrivés
je suis tombé
Oh ! écrasante image
du ciel mécanique
avec mes lèvres je touchais la terre (mes lèvres touchaient la terre)
J’avais dix-huit ans
quand la première fois
j’ai vu Marie nue
Je n’exprimerai jamais
sa frayeur
son dernier soupir
propulsé à l’intérieur de ses poumons
je n’exprimerai pas ses secousses
des pleures d’une jeune vie
quand la mort s’approche
non l’amour
L’air brûlant lui arrachait sa robe
elle était allongée sur le champ
nue
dans la fumée et dans le sang
mes mains tombées
mes mains qui n’ont jamais touché
son corps vivant
mes yeux levés
Le tueur montait
argenté déjà luisant
comme une aiguille qui coud le ciel
irréel
elle était allongée déshabillée
par l’air hurlant et le feu
elle était allongée sous le soleil
oblique jaunissant
au milieu d’un fumant paysage
au milieu du premier jour
de la guerre
les jambes allongées
au long des sillons non achevés
comme un blanc agneau mort.
III
d’un soupir plus légère
morte vide.
IV
Larme de dix-huit ans
sous le ciel
au-dessus de la terre
larme tombant comme ce jour
sur tous les temps
sur toutes les planètes et les étoiles
larme perçant le ciel et la terre
tombant
sur les capitales des villes capitalistes
sur l’éternelle Rome
larme volant
à travers l’obscurité de la nuit
à travers des littoraux d’azur
à travers des bosquets d’oranges
l’arme tombant
sur les cheveux des amoureux
quand ils se rejoignent
comme l’eau de rivières inconnues
Le tueur montait
argenté luisant
sans nom sans visage
Mais moi j’ai reconnu pour toujours
ceux qui l’ont envoyé
pour tuer Marie.
1953 / trad. bien sûr Marie
***
C'est si bon !
C'est si bon ! Je peux
cueillir les myrtilles dans le bois
je pensais
il n'y a plus de bois ni de myrtilles.
C'est si bon ! je peux me languir
sous l'ombre d'un arbre
je pensais les arbres
ils ne donnent plus d'ombre.
C'est si bon ! je suis avec toi
le cœur me bat si fort
je pensais l'homme
n'a plus de cœur.
***
Enlèvement de poids
Il est venu vers vous
Et il dit
Vous n'êtes pas responsable
Ni de ce monde ni de la fin de ce monde
On vous a enlevé le poids de vos épaules
Vous êtes comme les oiseaux comme les enfants
Amuses-vous
Et ils s'amusent
Ils oublient
Que la poésie de nos jours
C'est la lutte pour un souffle
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