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Monsieur Cogito n'a jamais fait confiance
aux détours de l'imagination
Un piano à queue au sommet des Alpes
jouait de faux concerts
jamais il n'eut d'estime pour les labyrinthes,
le sphinx le rebutait
il habitait une maison sans caves,
sans miroirs et sans dialectique.
Les jungles des paysages tordus
n'étaient pas sa patrie.
Il s'envolait rarement sur les ailes des métaphores,
après il retombait comme Icare
dans les bras de
Il adorait la tautologie,
la transcription idem per idem :
Qu’un oiseau est un oiseau
un esclavage un esclavage
un couteau un couteau
une mort une mort
Il aimait
Un horizon plat
La ligne droite
La gravitation terrestre
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Monsieur Cogito fera partie
d'espèces minoritaires
indifférent glissera sur lui le regard
des futurs chercheurs des mots
il utilisait l'imagination
dans un autre but
il voulait faire d'elle
l'outil de compensation
souhaitait comprendre jusqu'au bout
· la nuit de Pascal
· la nature des diamants
· la mélancolie des prophètes
· la colère d'Achille
· la folie des génocides
· les rêves de Marie Stuart
· la peur de Neandertal
· la désespoir des derniers Aztèques
· la longue agonie de Nietzsche
· la joie de peintres de Lascaux
· la croissance et le déclin d'un chaîne
· l'épanouissement et la chute de Rome
voulait savoir faire revivre les morts
respecter les traités
l'imagination de Monsieur Cogito a un mouvement pendulaire
elle passe précisément
de souffrance en souffrance
il n'y a pas de place
pour les artificiels feux de poésie
il voudrait rester fidèle
à l'incertaine clarté
***
Ce que pense Monsieur Cogito de l'enfer
Le plus bas cercle de l'enfer. Contrairement à l'idée la plus répandue, il n'est habité ni par les despotes, ni par les matricides, ni par ceux qui cherchent le corps des autres.
C'est un asile d'artistes rempli de miroirs, d'instruments de musique et de tableaux. Au premier coup d'œil c'est le plus confortable compartiment infernal, sans goudron, ni feu, ni tortures physiques.
Toute l'année se déroulent ici des concours, des festivals et des concerts. La pleine saison n'existe pas. La plénitude est permanente et presque absolue. Tous les trimestres se forment les nouvelles écoles et rien, à ce qu'il paraît, n'est capable de freiner ce triomphal défilé d'avant-garde.
Belzébuth aime l'art. Il se vante que ses chorales et ses poètes sont près de surpasser les célestes. Celui qui a le meilleur art a le meilleur gouvernement - c'est clair. Bientôt ils pourront se mesurer pendant le Festival des Deux Mondes. Et à ce moment nous verrons bien ce qu'il restera de Dante, Fra Angelico et Bach.
Belzébuth soutient l'art. Il assure à ses artistes le calme, la bonne nourriture et l'isolation absolue de cette vie infernale.
***
Monsieur Cogito et le mouvement de la pensée
Les pensées tournent dans la tête
dit l’expression populaire
L’expression populaire surestime le mouvement de la pensée
la majorité d’entre - elles
stagne
au milieu d'ennuyeux paysages
de grises collines
d’arbres desséchés
parfois elles arrivent
jusqu'à la rivière torrentielle des pensées d'autrui
elles s'arrêtent sur le bord
sur une jambe
comme les hérons affamés
avec la tristesse
elles se souviennent des sources taries
tournent en rond
en cherchant la graine
elles ne vont pas
elles n'arriveront pas
il n'y pas où
elles restent assises sur une pierre
se tordent les mains
sous le ciel
bas
nuageux
du crâne
***
Monsieur Cogito lit son journal
Sur la première page
communiqué sur la mort de 120 soldats
La guerre durait depuis longtemps
on peut s'habituer
Juste à coté l'information
sur un meurtre à sensation
avec le portrait du meurtrier
l'œil de Monsieur Cogito
glisse indifférent
sur l'hécatombe de soldats
pour se plonger avec délice
dans la description de la macabre quotidienne
un trentenaire ouvrier agricole
à la suite d'une dépression nerveuse
a assassiné sa femme
et ses deux petits enfants
on livre méticuleusement
le déroulement du meurtre
la position des corps
et autres détails
120 morts
vainement on cherche sur la carte
la distance est trop grande
elle les couvre comme la jungle
ils ne parlent plus à l'imagination
ils sont trop nombreux
le chiffre zéro à la fin
les transforme en abstraction
sujet à méditer :
l'arithmétique de la compassion
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